24/04/2020
Réponse de Thomas Michiels, professeur ordinaire et chercheur en virologie moléculaire à l'Institut de Duve, qui insiste sur l'importance de la recherche fondamentale et évoque une piste pour lutter contre les infections par ce groupe de virus.
Les antibiotiques sont aux bactéries ce que les antiviraux sont aux virus. Bien que leur activité soit de plus en plus souvent contrecarrée par l’émergence de résistances, il existe bon nombre d’antibiotiques pour lutter contre les différentes familles de bactéries qui peuvent nous infecter. Depuis une 60aine d’années avec la découverte de l’interféron, une défense naturelle de nos cellules contre les virus, puis de molécules synthétiques comme l’acyclovir dirigé contre les virus Herpès, de nombreux antiviraux sont mis au point pour venir à bout ou limiter la gravité des infections provoquées par différentes classes de virus (virus à ADN, virus à ARN simple ou double brin, rétrovirus). Cependant, contrairement à certains antibiotiques qui peuvent être dirigés contre des centaines de bactéries différentes, il est difficile de concevoir des antiviraux à large spectre qui pourraient nous prémunir d’infections émergentes par de nouveaux virus.
La grande différence entre les bactéries et les virus est que les premières sont des organismes vivants autonomes et les seconds sont constitués principalement d’une information génétique qui parasite nos cellules. En effet, les virus doivent impérativement utiliser la machinerie de nos cellules pour se multiplier et infecter notre organisme. Par conséquent, ils offrent beaucoup moins de cibles thérapeutiques spécifiques potentielles.
Cellule apoptotique (verte) fortement infectée par des particules de virus SARS-COV-2 (violet), isolée d'un échantillon de patient (image colorisée obtenue par miscroscopie électronique à balayage; crédit: National Institute of Allergy and Infectious Diseases) |
Une des piste suivie depuis quelques années est de tenter d’interférer avec des mécanismes cellulaires qui seraient critiques pour la multiplication de certains groupes de virus. Cette stratégie a l’avantage de limiter le risque d’apparition de virus résistants mais elle se heurte au risque de causer des dégâts collatéraux en interférant avec le fonctionnement des cellules saines de notre corps.
Une autre approche est de cibler des éléments propres aux virus, qui pourraient être partagés par plusieurs familles de virus. Par exemple, les virus à ARN, tel que le SARS-CoV2 responsable du Covid-19, ont cette particularité de produire leur propre polymérase, c’est-à-dire l’enzyme nécessaire à répliquer leur matériel génétique à l’intérieur de nos cellules. Cette polymérase virale, différente de celle de nos cellules, est donc une des cibles visées par les chercheurs pour trouver des antiviraux au plus large spectre possible contre les virus à ARN. Ces antiviraux ont pour effet de fournir de fausses pièces d’assemblage pour la fabrication de l’ARN du virus par la polymérase virale. C’est le mécanisme sur lequel repose la ribavirine, utilisée jusque récemment contre l’hépatite C et premier antiviral testé contre le SARS-CoV2 mais présentant malheureusement un faible effet in vitro contre ce dernier. D’autres médicaments basés sur le même principe sont testés actuellement, comme le remdesivir et l’EID-2801, une molécule conçue plus récemment et active contre plusieurs coronavirus in vitro. Néanmoins, chaque polymérase virale a ses spécificités ce qui fait qu’une seule molécule ne peut être optimale contre tous les virus à ARN mais la connaissance d’un principe de base permet d’accélérer la découverte de molécules plus spécifiques à un virus.
Une nouvelle piste prometteuse
Notre laboratoire à l’Institut de Duve est sur une piste prometteuse : la découverte d’une séquence hautement conservée sur les polymérases des virus à ARN positifs. Cela signifie qu’un même « patron » est présent sur toutes ces polymérases et pourrait donc être une cible privilégiée pour lutter contre les infections par ce groupe de virus. Cette découverte découle de recherches fondamentales qui restent essentielles dans la compréhension des mécanismes qui régissent notre corps, les virus et leurs interactions.
Enfin, un autre obstacle dans la quête d’un antiviral à large spectre est la problématique de la résistance des virus et en particulier des virus à ARN qui mutent très facilement. Résultat, à chaque fois qu’un antiviral est mis au point, une résistance apparaît. D’où l’intérêt d’avoir simultanément recours à plusieurs antiviraux qui ciblent différentes étapes de l’invasion d’un virus dans nos cellules, comme c’est le cas pour le virus du SIDA ou plus récemment pour le virus de l’hépatite C.