Plus bactérien qu’humain

(Source FNRS)

27/10/2021

Professeur de biochimie à la faculté de médecine de l’UCLouvain et co-Directeur de l’Institut de Duve, Jean-François Collet a décroché le Prix Joseph Maisin (Sciences biomédicales fondamentales) pour ses recherches sur les bactéries et leurs mécanismes de réponse aux agressions extérieures. « C’est en comprenant comment les bactéries se défendent que nous pourrons les désarmer. »

Retrouvez l'interview de Jean-François Collet faite par le FNRS et diffusée sur CanalZ le 26/10/2021 : Z-Extra Prix Quinquennaux

 

 

Prix Joseph Maisin


Depuis 1975, ce Prix prestigieux est décerné à des chercheurs exceptionnels actifs en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le Prix porte le nom d’un grand scientifique et médecin, le Professeur Joseph Maisin, à la demande de sa famille. Le Professeur Maisin était un oncologue de renom qui a apporté une contribution importante à la recherche sur le cancer. Il a été Professeur à l’Université catholique de Louvain (à partir de 1924) et y a fondé l’Institut de recherche sur le cancer en 1925.

 

 

Kinga et Anatoly Stolnikoff, Cosmos © Stolnikoff

 

 

Les bactéries, c’était une vocation précoce ?

« Pas du tout ! Je suis bio-ingénieur de formation (à l’UCLouvain), et j’ai fait ma thèse de doctorat sur une enzyme humaine dont la déficience est à l’origine d’une maladie métabolique. Mais, alors que je commençais à envisager un post-doc, j’ai assisté, presque par hasard, à un cours sur le repliement des protéines, donné par un vieux professeur allemand absolument fascinant, qui parlait de ce domaine de la science que je connaissais très mal avec une passion contagieuse. En l’écoutant, je me suis dit : « Voilà ! C’est ça que je veux faire ! » J’ai donc été le trouver après le cours et lui ai demandé à qui m’adresser pour faire un postdoc dans ce domaine. Il a pris une feuille blanche, sur laquelle il a inscrit dix noms, et à côté d’un de ces noms – James Bardwell, à l’Université du Michigan - il a griffonné trois étoiles, en m’a› rmant que c’était son premier choix, un spécialiste des bactéries. Mais les bactéries, moi, ça ne me tentait pas ! J’ai donc contacté un par un tous les autres chercheurs de sa liste, et plusieurs se sont montrés disposés à m’accueillir, mais sans véritable enthousiasme. Je me suis alors décidé à envoyer un mail au numéro 10 sur ma liste et, deux heures plus tard, James Bardwell me téléphonait du Michigan, pour me dire qu’il m’attendait !

Et c’est dans son labo que vous êtes tombé amoureux d’Escherichia coli ?

« Mais oui, et je ne crains pas de le dire, car mon épouse, qui m’a accompagné aux États-Unis – deux de nos quatre enfants sont nés là-bas – est au courant depuis le début ! J’ai eu un véritable coup de foudre pour Escherichia coli, cette bactérie sur laquelle je travaille toujours. C’est un petit organisme qui me plaît d’autant plus que je suis plutôt impatient de nature. Et les bactéries, ça pousse très vite. Vous les mettez dans l’incubateur le soir avant de rentrer chez vous et, le lendemain, vous avez les résultats. Escherichia coli était faite pour moi : nous ne nous sommes plus quittés, même après mon retour en Belgique.

Une bactérie, c’est un organisme unicellulaire, et beaucoup plus simple que nos cellules à nous, qui comportent un noyau, des mitochondries, un réticulum... donc différents compartiments. Une bactérie est une sorte de sac contenant le kit complet pour une vie indépendante, à savoir de l’ADN, de l’ARN, des protéines. Et je – ou plutôt nous, car c’est vraiment un travail d’équipe – nous travaillons sur ce qu’on appelle l’enveloppe des bactéries à Gram négatif.

C’est une famille de bactéries ?

« C’est une des deux grandes familles du monde bactérien, en effet, dont Escherichia coli est une des principales représentantes. Elle doit son nom à une technique de coloration mise au point il y a plus d’un siècle par le médecin et bactériologiste danois Hans Christian Gram. Le colorant utilisé est le violet de gentiane. Les bactéries qui gardent la coloration violette sont les bactéries à Gram positif, celles qui la perdent les bactéries à Gram négatif. À l’époque, les chercheurs ne disposaient pas d’autre moyen pour classer les bactéries. Il a fallu attendre les années 60 et l’avènement de la microscopie électronique pour qu’ils puissent voir à quoi ressemblait l’enveloppe qui les entoure. Et se rendre compte que leurs comportements différents par rapport à la coloration de Gram s’expliquaient par des différences dans les couches de cette enveloppe.

 

Jean-François Collet et une partie de son équipe

De gauche à droite : Naemi Csoma, Pauline Leverrier, Michaël Deghelt, Jean-François Collet, Alix Dachsbeck, Emile Dupuy, Bogdan Iorga

 

Vous voulez dire que le sac est entouré de plusieurs couches ?

« Exactement. Dans le cas des bactéries à Gram négatif, le sac est entouré de trois couches, ce qui les rend particulièrement di›ciles à attaquer. Je les compare souvent à un château fort entouré de trois murs d’enceinte, donc particulièrement bien protégé. Et ce qui me fascine, c’est que nous envoyons des hommes – ou des femmes – dans l’espace, mais que nous ne savons toujours pas comment les bactéries construisent leur enceinte extérieure. Or, elles sont partout, les bactéries, en nous, sur nous, et jusque dans le moindre recoin de la planète. Quand je vous parle, c’est à des bactéries que je parle, car, comme moi, comme nous tous, vous êtes davantage bactérienne qu’humaine : dans un corps humain, il y a jusqu’à dix fois plus de bactéries que de cellules humaines ! Certaines sont inoffensives, d’autres utiles, et d’autres encore dangereuses, voire mortelles. Mais, sans elles, la vie telle que nous la connaissons serait impossible ! Et pourtant, elles restent enveloppées de mystère...

Un mystère suffisamment palpitant pour vous occuper pendant desannées ?

« Pendant dix, vingt ou même trente ans, oui, sans aucun doute. Quand Neil Armstrong a marché sur la lune, en 1969, il a dû ressentir quelque chose d’incroyablement excitant, parce qu’il était le premier. Eh bien, à notre petit niveau, quand un de mes étudiants est le premier à percer un des nombreux mystères des bactéries, nous éprouvons la même excitation, nous communions à la même ivresse de la découverte. Il n’est pas nécessaire d’aller dans l’espace pour faire un pas important. Un pas qui en prépare d’autres, encore plus importants. C’est ma première motivation.

 

« La recherche, ça ne s’apprend pas en lisant des syllabus. Il faut être tenace, un peu borné, ne pas baisser les bras trop vite, distinguer l’objectif au loin et se dire “j’y arriverai, même si ça me prend des années” »
J.-F. Collet


Vous en avez plusieurs ?

« Trois, en fait. La première, c’est donc l’excitation de la découverte. La deuxième, dans un laboratoire académique comme le mien, c’est de former les jeunes chercheurs à la rigueur de la recherche scientifique, qui exige un vrai sens critique et une vraie rationalité. Et la troisième, c’est de nous mettre, mon équipe et moi, au service de la société, parce que les découvertes d’aujourd’hui en préparent d’autres pour demain. Nous espérons que notre expertise contribuera à la mise au point d’un nouvel antibiotique ou à l’optimisation des cellules bactériennes pour la production d’anticorps contre des maladies comme le cancer... Quand on sait que les bactéries produisent déjà la moitié des protéines utilisées à des fins thérapeutiques, cette troisième motivation n’est pas la moindre...

Mais, quand vous aurez résolu le mystère du premier mur, il en restera deux derrière.

« Je ne sais même pas si nous y arriverons un jour, mais nous ne pouvons pas laisser tomber, parce qu’il faut regarder la réalité en face. Notre espèce erre sur la planète depuis 200.000 ans environ, et jusqu’en 1940, les principales causes de décès des êtres humains, ce n’étaient pas les cancers ou les affections cardiaques, mais les infections bactériennes ou virales. Ça fait donc 80 ans que les choses ont changé grâce aux antibiotiques, qui ont littéralement révolutionné la vie humaine sur Terre. Mais, en 80 ans, les bactéries ont réussi à trouver des armes contre les antibiotiques existants, alors que nous avons mis la recherche pour de nouveaux antibiotiques en mode avion. Résultat : d’ici 20, 30 ou 40 ans, nous risquons d’arriver dans une ère post-antibiotique.

Alors, pourquoi avoir arrêté de chercher ?

« Parce que ce n’est pas rentable pour les firmes pharmaceutiques. Pour mettre au point un nouvel antibiotique, il faut entre 1 et 2 milliards, mais, tôt ou tard, les bactéries y deviennent résistantes, de sorte que la firme ne parvient pas à rentrer dans ses frais. Si on regarde les quelques petites sociétés qui sont parvenues à mettre sur le marché de nouvelles molécules antibiotiques au cours des 5 dernières années, la majorité sont aujourd’hui en faillite. Quant à stimuler ces recherches par des incitants financiers, les décideurs y pensent, mais la recette miracle n’a pas encore été trouvée. C’est la même attitude que celle qui a présidé à la destruction des masques avant la pandémie actuelle : tant que le problème n’est pas là, on ferme les yeux ! C’est un peu décourageant, mais, aussi longtemps que nous restons sur le champ de bataille, nous avons au moins l’impression de servir à quelque chose ! Et nous avons déjà fait de belles découvertes.

Par exemple ?

« Je vais en citer deux. Jusqu’à nos travaux, il y a cinq ou six ans, personne ne savait qu’Escherichia coli décorait son mur d’enceinte extérieur de jolies petites protéines. Protéines qui deviennent du coup des cibles potentielles pour de nouveaux antibiotiques. Ça, c’est une découverte – faite en équipe, bien entendu – dont je suis extrêmement fier ! Et puis, nous nous sommes également rendu compte qu’en modifiant la longueur des piliers qui rattachent le mur d’enceinte extérieur des bactéries à Gram négatif à leur mur intermédiaire, nous pouvions modifier les dimensions de l’enveloppe bactérienne elle-même, et donc la fragiliser...

Vous n’avez jamais eu envie de tenter votre chance dans un autre domaine ?

« Non. Je reste en bactériologie, parce que j’aime vraiment ces microorganismes. Et je trouve toujours des étudiants qui sont attirés par cet aspect des sciences biomédicales. Au Moyen Âge, quelqu’un qui voulait devenir tailleur de pierre devait se trouver un bon maître pour lui apprendre à tailler. Pour la recherche, c’est la même chose : ça ne s’apprend pas en lisant des syllabus. Il faut être tenace, un peu borné, ne pas baisser les bras trop vite, distinguer l’objectif au loin et se dire “J’y arriverai, même si ça me prend des années” Mais surtout, il faut trouver des gens pour vous initier, comme je l’ai été moi-même par Émile Van Schaftingen en Belgique et par Jim Bardwell aux États-Unis. À présent, c’est à moi d’initier des étudiants. Et, tant humainement que scientifiquement, c’est une des plus belles choses qu’on puisse faire...

 

 

 

Les motivations du Jury du Prix Joseph Maisin (Sciences biomédicales fondamentales)

 
 

Les découvertes du Professeur Collet ont permis de mettre au jour de manière cohérente et exhaustive de nouveaux mécanismes cellulaires fondamentaux, notamment une nouvelle voie qui confère une résistance des protéines périplasmiques contre les espèces réactives de l’oxygène, ainsi que la machinerie bêta-barrel (BAM) qui assemble les protéines de la membrane externe et exporte la lipoprotéine RcsF à la surface de la cellule où elle agit comme un capteur de dommages à l’enveloppe cellulaire. Ces découvertes ouvrent la voie à la conception d’une nouvelle classe d’agents antibactériens.

 

 

 

 

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