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L’objectif à long-terme de notre laboratoire est de comprendre comment les bactéries organisent leur contenu cellulaire dans le temps et l’espace afin d’accomplir des cycles de vie variés et extrêmement complexes. La recherche fondamentale en biologie cellulaire bactérienne est une étape indispensable pour de nombreuses applications cliniques, telles que la lutte contre les souches pathogènes, le développement de solutions pour contrer les mécanismes de résistance aux antibiotiques, et l’utilisation appropriée des « bonnes bactéries » chez l’Homme.
Etant donné leur petite taille relative et l’absence d’organelles (compartiments) intracellulaires, les cellules bactériennes ont longtemps été considérées comme de simples « sacs » de molécules non ordonnées. Cependant, des avancées majeures en microscopie et en génie génétique au cours des dernières décennies – y compris la découverte de protéines fluorescentes qui peuvent servir à marquer des protéines d’intérêt – ont révélé que les bactéries organisent leur contenu intracellulaire de façon extrêmement contrôlée et inattendue. Par exemple, de nombreuses protéines et certaines régions de l’ADN chromosomique occupent des positions spécifiques à l’intérieur de la cellule, telles que les pôles (c.-à-d. les extrémités de la cellule) ou le futur site de division (qui va séparer une bactérie « mère » en cellules « filles »). De plus, ces localisations sont souvent dynamiques : les molécules changent de place de manière hautement régulée au cours du cycle cellulaire bactérien. Cette organisation spatio-temporelle de la cellule est essentielle pour la survie des bactéries et leur permet d'exécuter leur cycle cellulaire (c.-à-d. toutes les étapes entre la naissance et la génération de nouvelles cellules filles) de façon optimale.
La mise en évidence de la localisation intracellulaire d’une grande variété de molécules chez des espèces bactériennes modèles a permis l’identification de mécanismes moléculaires complexes qui régulent des processus fondamentaux, tels que la division cellulaire, la réplication et la ségrégation du matériel génétique, ou la croissance cellulaire. Ces mécanismes font maintenant partie des dogmes enseignés dans les cours de Biologie.
Cependant, les recherches dans le domaine de la biologie cellulaire bactérienne se sont très peu intéressées aux espèces bactériennes atypiques (c.-à-d. différentes des quelques espèces choisies jusqu’ici comme modèles d’étude vu leur simplicité biologique ou leur manipulation aisée en laboratoire). Ces espèces atypiques constituent en quelque sorte la partie immergée de l’iceberg si l’on considère l’ensemble de la vie bactérienne sur Terre.
Notre objectif est de découvrir comment ces cellules bactériennes organisent leur contenu moléculaire dans l’espace et dans le temps afin d’accomplir les différentes étapes clefs de leur cycle de vie. En particulier, nous nous intéressons à la bactérie prédatrice Bdellovibrio bacteriovorus, pour deux raisons principales :
1) B. bacteriovorus est une alternative prometteuse aux antibiotiques, car cette bactérie se nourrit et tue d’autres bactéries dites à Gram-négatif (ayant une enveloppe à double couche), y compris des bactéries pathogènes pour l’homme et fréquemment associées à des infections résistantes aux antibiotiques. B. bacteriovorus est toutefois inoffensive pour les cellules eucaryotes, dont les cellules humaines. La prédation est aussi efficace sur des bactéries présentes à l’intérieur des biofilms, c.-à-d. des communautés complexes de cellules bactériennes qui contribuent largement aux infections nosocomiales multi-résistantes.
2) B. bacteriovorus a un cycle cellulaire remarquable (voir Figure), au cours duquel la bactérie pénètre entre les deux couches de l’enveloppe d’une bactérie proie (par exemple E. coli ou d’autres espèces). L’enveloppe de la proie est rapidement remodelée par la bactérie prédatrice afin de constituer une niche protégée de l’environnement. Le prédateur digère alors le contenu cellulaire de la cellule proie tout en restant à l’intérieur de celle-ci, croît de manière filamenteuse, et finalement se divise en un nombre variable de cellules filles par un processus de division non-binaire (qui diffère drastiquement du mécanisme de division binaire « classique » des bactéries modèles).
Legend A. Représentation schématique du cycle cellulaire de la bactérie prédatrice Bdellovibrio bacteriovorus. B. Images de microscopie montrant une cellule de E. coli (apparaissant en noir en contraste de phase) en contact avec des cellules de B. bacteriovorus (fluorescence rouge). C. Quelques étapes au cours de la prédation bactérienne (provenant d’un time-lapse en microscopie sur cellules vivantes), montrant la croissance de la cellule de B. bacteriovorus en un filament à l’intérieur de la proie, et la digestion simultanée de la cellule de E. coli infectée. Les cellules filles prédatrices sont libérées dans l’environnement après environ 4 heures.
Cette bactérie remarquable, découverte dans les années 1960, génère un regain d’attention suite à son intéressant potentiel d’"antibiotique vivant". Cependant, les facteurs moléculaires et les nouveaux mécanismes qui sous-tendent la biologie atypique de B. bacteriovorus sont encore majoritairement inconnus. Or, la découverte des déterminants moléculaires du cycle cellulaire de cette bactérie est requise pour comprendre comment elle prolifère à l’intérieur de sa proie et pour envisager l’utilisation potentielle de cette bactérie comme agent thérapeutique. Dans notre laboratoire, nous utilisons diverses techniques, telles que la génétique bactérienne, la biologie moléculaire, et la microscopie quantitative à haute résolution sur cellules vivantes, afin de mettre en lumière les nouveaux mécanismes qui contrôlent les processus clefs du cycle cellulaire extraordinaire de ce micro-prédateur.
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BACTERIAL CELL BIOLOGY